Parfois, il arrive qu’un événement nous brise complètement. Un événement si violent, qu’il vient bouleverser toute notre vie : nos habitudes, notre façon de voir le monde, notre façon d’être. Si choquant, qu’il nous pousse à nous isoler. Enfin, c’est ce qui m’est arrivé à moi. Après, j’étais complètement perdue au point de même plus savoir qui j’étais.
Par la suite, j’ai découvert une force de vie en moi. J’ai dû réapprendre à vivre avec les autres, pour enfin sentir l’espoir renaître en moi.
1. Expérimenter le vide
Quand c’est arrivé, un vide m’a envahie. Un vide qui vous fait ne plus rien ressentir. Ni joie, ni peine, ni douleur, ni colère. Juste un vide, qui efface peu à peu la personne que vous êtes. Je me sentais complètement inexistante, comme si on m’avait supprimée. Je restais la plupart du temps figée, comme si j’étais le fantôme de moi-même. J’avais l’impression de voir les choses en étant en dehors de mon corps. Je faisais des gestes, mais je n’habitais plus ma vie. Je n’étais même plus capable de suivre une conversation ou un cours.
Je me racontais que ça allait passer. Mais à mesure que le temps passait, j’ai compris que non : on ne peut pas changer cela. C’est quelque chose d’irréversible, un peu comme si on gommait un trait de crayon : on ne le voit plus, mais le papier est marqué. J’ai essayé de reprendre une nouvelle page pour tout recommencer. (J’y ai passé des heures.) Mais les larmes montaient et finissaient par tomber sur la feuille qui se déchirait. Alors j’abandonnais.
J’étais devenue invisible. J’ai pourtant essayé de m’ouvrir à cœur ouvert aux autres. Mais lorsque je voulais me confier, que les mots étaient sur mes lèvres, une force les repoussait dans le fond de ma gorge. Je restais seule. Seule avec mon silence. Condamnée deux fois : la première au moment où ça s’est passé, et puis une deuxième fois, à ne pas pouvoir parler. Condamnée à errer comme une âme perdue, entre la terre et le ciel.
J’ai joué avec la mort. J’avais envie de retrouver ce grand-père qui avait été si présent pour moi pendant mon enfance. Envie de revoir mon ami qui, avant moi, avait décidé de se rendre au paradis. Au lieu de ça, ils m’ont rejetée sur terre, sans vie.
C’était vraiment dur d’avoir envie de vivre. Moi je ne voulais tout simplement plus. Mais j’ai dû essayer de reprendre possession de moi. Aujourd’hui, je suis là de nouveau, à me poser des tas de questions : pourquoi suis-je incapable de me concentrer, incapable de prendre la moindre décision ? Pourquoi je ne me sens à ma place nulle part ? Pourquoi je n’arrive pas à vivre pleinement ?Et puis je repense à eux. À ceux qui ont fait de moi cette personne étrangère. Ce sont eux qui m’ont tuée.
Puis à force d’errer, on finit par rencontrer d’autres personnes aussi brisées que nous. J’ai fini par nouer une belle amitié avec quelqu’un. On se soutient. D’autres personnes m’ont relevée. Elles m’ont fait comprendre que j’étais à ma place sur terre, que je pouvais devenir la personne que je souhaitais, que j’avais le droit d’avoir des rêves, d’avoir des envies, et même le droit d’avoir des peurs. Grâce à elles, j’ai découvert une force bien cachée en moi. Une force si puissante que par moment, elle nous permet de nous faire sentir vivante.
Pour l’instant, je veux disparaître au milieu des autres. Je passe la plupart de mon temps à regarder les personnes que je croise. J’observe leurs comportements, leurs réactions, leurs façons de s’exprimer. J’analyse tout ce que je vois, que ce soit dans la rue, dans les transports, en cours, dans les magasins ou lors d’un repas. Je les observe pour les imiter. Parce qu’il est plus simple de se fondre dans la masse et de ne pas se faire remarquer quand on se comporte comme tout le monde. J’essaie de recoller les meilleures parties des personnes que je rencontre, un peu comme une greffe afin de me reconstruire une nouvelle personnalité. Plus tard, je retrouverai peut-être ma place parmi les autres.
Cela m’a pris 4 ans.
Je me réveille le matin en me disant que je suis enfin sur le point de devenir une nouvelle et une bonne personne utile pour beaucoup de personnes. Finie la petite fille discrète, celle qui n’ose pas dire non. Finie l’adolescente qui ne pense qu’à se bousiller la santé en buvant, en fumant n’importe quoi.
Aujourd’hui j’écris des pages et des pages pour extérioriser tout ce que je ne sais pas verbaliser. Les sentiments, les problèmes, les solutions que j’ai rencontrées, j’ai envie de les partager par l’écriture.
Mais je voudrais aussi en parler oralement, rencontrer des gens, leur permettre de retrouver leur chemin. Je ne veux pas qu’ils ressentent la solitude et le sentiment d’abandon que j’ai pu éprouver. Je voudrais que ça touche un maximum de monde, leur montrer qu’on peut se sortir d’une situation que l’on pense insurmontable. Qu’il faut du temps, mais surtout qu’il faut savoir demander de l’aide. On me dira qu’avant de vouloir aider les autres, il faut s’aider soi-même. Oui, sans doute. Peut-être. Pourtant, c’est cette promesse qui me fait me sentir en vie.
Ce soir, je sais que j’ai avancé. Bien plus que ce que je pensais en commençant cette lettre. Je suis fière d’avoir surmonté tant d’obstacles et d’être arrivée ici. Mais je reste prudente, parce que je sais que le chemin n’est pas fini et qu’il y a encore beaucoup à faire. Il me faudra du temps pour vivre sereinement, pour ne plus avoir peur. Mais ça ira, parce qu’aujourd’hui, plus que jamais, j’ai envie de vivre.
Lola, 20 ans, Nord
Relisez la première lettre de Lola : Lettre à mon intimité.
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