Lettres pour dire le monde

Ma chérie,

Je t’avais toujours promis de pouvoir tout entendre. Et puis un jour tu me l’as dit. Assise à table, en plein repas. Tu avais quatre ans et demi. Tu avais déjà tenté par le passé timidement d’amener le sujet. Par de petites phrases, des rigolades, des questions. Mon cœur s’est retourné et retrouvé sans vie. Comment avait-il pu ? Te toucher, te violer. Toi, notre fille… ma fille. 

Ce vide intense ressenti. Médecin, hôpital, gendarmerie, garde à vue… et le résultat final : la justice m’obligeait à te laisser y retourner. Je n’avais pas le choix. 

Pendant des mois j’ai eu la sensation de vivre sans âme. Chaque seconde je culpabilisais  de t’avoir choisi ce père incestueux. Les week-ends que tu passais là-bas m’arrachaient le coeur. Il venait te chercher à l’école. Je ne le voyais pas t’emmener. Je n’aurais pas pu. 

Je ne comprenais pas le fonctionnement de la justice. On m’empêchait de te protéger. Pendant des mois j’ai étudié. J’ai consulté les expertises, les rapports des associations, les statistiques de la justice, le nombre de classements sans suite, le nombre de condamnations. J’ai recueilli des centaines de témoignages. Et puis j’ai décidé de ne plus me voir en tant que victime de cet homme qui m’avait violenté par le passé. Je devais agir pour toi. J’ai compris que tu étais si lumineuse qu’il cherchait à prendre auprès de toi celle que je ne lui donnais plus. 

Au bout de six mois j’ai décidé de ne plus te laisser y retourner, malgré les menaces de la gendarmerie. Grâce à toi je suis devenue une guerrière. C’est toi qui m’a donné cette force, par l’amour que tu m’inspires et qui grandit de jour en jour depuis cinq ans. 

J’ai décidé de vibrer de courage et de dénoncer ce qui se passe dans cette société, dans tant de familles, riches et pauvres, de tous les coins et de tous les milieux. 

Merci d’avoir eu le courage d’oser le dire. Tu n’es responsable de rien. Et merci pour ta confiance. Ta parole est importante. La vérité te sauvera. Ton courage aidera les autres. 

Je te crois. J’ai confiance en toi et je sais que tu sauras vivre avec cela. Que tu transmuteras le mal qu’il a mis en toi en force motrice. Car tu es la fille de ta mère. 

Je t’ai promis de toujours être là pour toi. Aujourd’hui je te promets de me battre jusqu’au bout pour que tu sois protégée. Je prendrai le risque d’être condamnée pour toi. 

N’oublie jamais ma chérie : tu es précieuse et tu mérites d’être aimée et respectée.

Fanny, France.

© 📸 via @unsplash

Lettres pour dire le monde

« On passe les plus belles années de sa vie sans s’en rendre compte ». Je me répète cette phrase depuis plusieurs heures dans une pièce où pourrissent mes idées négatives. Une chambre, quatre murs, un lit défait, des vêtements mal rangés : est-ce un endroit approprié à l’apprentissage? Les moustiquaires devant mes fenêtres me donnent l’impression d’être entre des barreaux.

Je reste assis, zombifié devant mon écran, ne distinguant que quelques mots parmi la rafale que me balance mon professeur par vidéoconférence. J’empile les travaux à remettre sans le savoir. Je ne peux plus me changer les idées.

Ce qui me ronge, c’est de ne pas avoir assez profité de ce que j’avais avant. À force de porter ces morceaux de tissus, je ne vois plus les visages de mes amis, des gens dans la rue, des caissières dans les magasins. 

J’en viens à regretter ce qui avant me semblait un enfer : se lever à 6 heures, prendre le déjeuner à toute vitesse, m’habiller, crier après ma mère qui passe trop de temps à la salle de bain, attendre que le gros engin jaune, crachant sa fumée polluante, vienne le plus rapidement possible pour que j’arrête de geler à l’arrêt du bus, faire 35 minutes de trajet sur ses bancs durs, au milieu des cris des secondaires, pour finalement retrouver les amis et le cours soporifique du matin, tout ça me manque. Aller manger des sushis et des burgers, se piquer des frites, prendre le soleil sur le banc de la rue Jacques-Plante, tout ça me manque. Finalement je me dis qu’on ne prend pas assez de temps pour profiter des petits moments de la vie.

Je n’arrête pas de me demander quand tout ça va finir. En attendant j’ai commencé mon deuxième roman, je joue à des jeux en ligne avec les copains que j’ai hâte de voir en vrai. Je sais que des pandémies je vais en connaître d’autres. Je ne me sens pas prêt. Ne pas savoir, y’a rien de pire.

Noah, 17 ans, Repentigny, Québec.

© 📸 Martina Carinci via @unsplash

Lettres pour dire le monde

Ma « p’tite poule »,

Tu es partie trop vite, trop tôt. Pour moi ça a été douloureux. Mais je me console en pensant aux quelques mois qu’on a passés ensemble. Ces quelques mois où j’espère t’avoir apporté une vie un peu meilleure que celle de la plupart de tes congénères.

Pour tout te dire, tu as d’abord existé sur le papier, sur une liste. Une liste que j’ai commencé à dresser il y a deux ans et qui représente pour moi un acte fort d’engagement pour la planète et son avenir… Si tant est qu’on lui laisse en avoir un. Évidemment, tu n’étais pas en haut de la liste. Il fallait d’abord revoir pas mal de choses dans notre quotidien, ma famille et moi : notre consommation de produits suremballés, cultivés en agriculture intensive et venant de l’autre bout du monde… Aux côtés de mes parents, ouverts mais novices, je suis devenu un véritable porte-étendard du changement : fabriquer avant d’acheter, acheter en agriculture raisonnée, de proximité, d’occasion, en vrac… Et je me souviens encore des longues soirées de de recherches et de discussions, avec un papa très réticent, pour démontrer l’importance et la simplicité du fameux compost de jardin.

Et puis, alors que tu étais déjà bien présente dans mon esprit mais loin de celui de mes parents – « ça demande trop d’entretien », « j’en ai trop peur ! » -, la magie du 1er confinement 2020 a opéré. Ta présence à nos côtés était désormais envisageable, à une condition : “que tu t’occupes de tout !”.

Avec mon frère Jojo, il ne nous a pas fallu longtemps pour nous retrouver dans la longue file d’attente devant le magasin de bricolage. Nous n’étions visiblement pas les seuls à vouloir profiter du confinement pour bâtir de nouveaux projets. Planches de bois, poteaux, grillage… Bizarrement, une fois tout ce matériel à la maison, je n’ai plus eu à devoir m’occuper seul de tout : c’était devenu un projet familial ! Une aventure que nous prenions plaisir à vivre ensemble. Avant même ton arrivée, tu as su créer du lien chez nous. Alors imagine quand tu as pris tes quartiers !

On t’a choisie, toi et une copine, parmi des centaines. À votre arrivée à la maison, nous nous sommes mutuellement apprivoisés. Ça a pris son temps. Au début, vous vouliez sans cesse explorer au-delà du poulailler. Nous, on n’était pas encore prêts, on tâtonnait… C’était tout nouveau. On doutait… Il fallait vous observer de près pour vous comprendre, vous nourrir à la bonne fréquence, vous installer votre mangeoire et votre abreuvoir. Finalement, vous avez pondu vos premiers œufs, petits et mous, mais tout à fait mangeables et surtout ultra-locaux.

Pendant plus de 3 mois, on vous a vu explorer tous les recoins de votre parcelle, retourner la terre pour déterrer les vers dont vous raffoliez, accourir quand on venait vous parler et fuir quand on voulait vous porter et vous caresser. On avait réussi à vous offrir une vie paisible, à hauteur de vos besoins et de nos idéaux d’écolos presque parfaits.

Mais un 22 octobre, tout s’est arrêté. Tu as commencé par ne plus pondre, tu t’es mise à boiter, à ne plus manger. Je sentais que quelque chose ne tournait pas rond, mais mes parents, eux, n’étaient pas inquiets… Je ne t’avais pas donné de nom, mais je te connaissais bien. Le vétérinaire a fini par venir mais ses médicaments n’ont rien pu pour toi.

En 2018, tu étais pour moi une idée, une envie, une folie. Tu es entrée dans ma vie en 2020 comme une victoire, une espérance, une nouvelle manière de manger. Tu m’as appris beaucoup. Puis, tu es partie, comme pour me donner une dernière leçon : celle de la vie.

Je ne t’oublierai pas, promis.

Aurélien, 16 ans, région parisienne.

Lettres pour dire le monde

Ma douce Ginou,

Aujourd’hui, je veux utiliser cette arme incroyable que sont les mots pour te faire voyager. C’est vrai qu’en ces temps étranges, les mots n’ont jamais été aussi salvateurs. Ils soulagent le cœur. Je sais que tes yeux et tes oreilles te jouent des tours depuis quelques années, et malgré leurs caprices tu gardes un appétit et une curiosité insatiable. C’est incroyable. J’ai du mal à imaginer un confinement sans mes yeux et mes oreilles. Tu m’impressionnes. Grâce à tes efforts, ta volonté, tes derniers élans de vie, tu gardes contact avec le monde, avec tes proches. Tous les jours, tu t’installes devant ce que tu appelles ce «petit outil». Cet écran qui représente ta fenêtre quotidienne sur le monde. Cette «page numérique», qui nous connecte, nous lie les uns aux autres. Et tout particulièrement, l’une à l’autre. Ces emails qu’on s’envoie depuis des années ont participé à la création d’une relation toute particulière, précieuse, délicate, profonde, et aimante. Un échange de génération, toi 89 printemps, moi 28 hivers. Merci donc, petit outil.

Continuez la lecture “Lettre à Ginou, 89 printemps”

Lettres pour dire le monde

Vous n’aimez peut-être pas qu’on vous appelle comme ça. Vous avez trop l’habitude d’être la norme et nous, nous sommes les autochtones, c’est à dire les autres, les différents de vous.

CONTEXTE : Cette lettre a été écrite suite au décès d’une jeune femme autochtone québécoise, Joyce Echaquan, décédée l’hôpital sous les insultes racistes de ses infirmières, d’une surdose de morphine, alors qu’elle leur disait y être allergique. Cet événement a soulevé une grande remise en question au Canada et un débat sur le racisme systémique envers les autochtones.

 Je la connais l’image que vous avez de nous. Vous croyez nous connaître. Vous vous dites que nous ne payons pas les taxes, que nous sommes tous sur la consommation d’alcool et de drogues, qu’on est tous des voleurs et quêteux. Dans les centres commerciaux, certains nous dévisagent par peur de se faire voler dans les boutiques. Lorsqu’on veut louer un appartement, certains propriétaires refusent, en disant qu’ils ont eu de mauvaises expériences avec “vous autres”. Pourtant, si vous en appreniez davantage sur notre culture, vous vous apercevriez que nous avons un grand respect pour tout ce qui nous entoure. Je vais vous dire ce que c’est être un autochtone.

 Nous sommes 11 nations, aussi différentes que vos nations. Pour vous, on est tous pareils, mais les différences entre nos peuples sont comme celles que vous avez entre vos pays. Nous les Innus, sommes un peuple qui adore rire et parler ! J’ai côtoyé les Atikamekw ; ils sont plus réservés mais accueillants et extraordinaires. Moi, ils m’ont accueillie comme si j’étais une des leurs. Ce que je trouve le plus beau chez les Atikamekw, c’est qu’ils ont conservé leur langue maternelle, tandis que chez moi, les plus jeunes ne la parlent presque plus.

 Nous sommes aujourd’hui sédentaires, vivant dans des maisons chauffées et éclairées comme les vôtres. Vous croyez qu’on est en dehors de votre monde ? Ben non, on a aussi des téléphones, Internet et les réseaux sociaux. Ils nous aident aussi à tisser des liens avec d’autres communautés. Et pourtant on sait aussi vivre en forêt.

 Être autochtone, c’est avoir vu les terres sur lesquelles on vivait déboisées, , c’est être reconnaissant envers l’animal qu’on tue pour se nourrir, c’est écouter les histoires des aînés car nous vivons encore avec nos grands-parents et même nos arrière-grands-parents. C’est respecter la terre Mère, Tshekauinu Assi en innu, ma langue. Kikawino aski en atikamekw. 

Être autochtone, c’est avoir les plus hauts taux de suicide de dépendance aux drogues et de maladies cardiovasculaires du pays.  Mais c’est savoir utiliser la spiritualité et le retour à la culture dans le processus de guérison.

Être autochtone, c’est être les enfants et petits-enfants de gens qui ont été amenés de force dans les pensionnats où ils n’avaient plus le droit de parler leurs langues, de pratiquer leurs religions, sous peine de recevoir des coups. 

Mes arrière-grands-parents et ma grand-mère ont été aux pensionnats. Ils ont été agressés physiquement mais aussi sexuellement. Ma grand-mère a noyé tout son mal de vivre dans l’alcool et la drogue. Elle a été prise en main, mais les séquelles sont restées. Chaque année, on monte en forêt avec elle et mon grand-père pendant deux ou trois semaines. On chasse, on trappe pendant plusieurs jours. Ils nous racontent des histoires, notre histoire.  

Dans les réserves, les enfants peuvent jouer dehors car nous sommes tous attentifs les uns aux autres. On partage aussi beaucoup, on s’échange de la nourriture, des électroménagers ou bien des vêtements. 

Les gens haut placés ne veulent pas reconnaître que le racisme systémique existe au Québec. On dit “racisme systémique” car il est propre aux institutions et c’est ça le débat. La tragédie de Joyce Echaquan en est la preuve. Cette femme Atikamekw de Manawan, mère de sept enfants, a été admise à l’hôpital pour des maux de ventre. Elle est décédée d’une surdose de morphine alors qu’elle ne cessait de dire aux infirmières de ne pas lui en donner car elle était cardiaque. Elle a fait un direct sur Facebook où on l’a entendu crier et les deux infirmières lui lancer des propos racistes.

C’était le soir de la fête de mon frère. Après souper on était à la cuisine. Puis il m’a dit en regardant son téléphone : 

“Mathil, tu parles l’atikamekw, non? Tu peux traduire ce que la dame dit ?” 

J’étais à peine capable de regarder la vidéo. Quand j’ai vu ça, j’ai ressenti beaucoup de colère. 

C’est comme si on nous mettait à genoux, encore une fois. 

Le lendemain soir, on a marché pour se rendre aux parkings d’un centre d’achat. On a allumé des lanternes. Il y a eu des chants, des danses de guérison et des prières. On était près de mille personnes, allochtones et autochtones. 

Cela fait depuis les années 90 qu’on parle de la réconciliation avec les autochtones. Et ben, nous attendons encore. Il y aurait tant de choses à faire. Nous pourrions faire des échanges culturels, se comprendre et collaborer. Moi j’essaie de faire mon bout de chemin. Cet hiver, je suis allée dans une école secondaire à Trois-Rivières pour faire une présentation auprès de gens qui ont entre 14 et 17 ans, afin de déconstruire les préjugés sur les Amérindiens.  

J’ai d’ailleurs demandé à rencontrer le maire de Sept-Îles pour réaliser des activités pour les allochtones et autochtones : organiser des jeux sportifs par exemple et commencer une partie de volley-ball, juste pour le plaisir. Pour moi, se réconcilier c’est un grand mot qu’on peut accomplir par des petits gestes.  

Nous devons travailler à bâtir une nouvelle relation pour créer un avenir meilleur. Voilà ce que je souhaite pour le Québec et pour nous autres. Car nous aimerions nous aussi nous promener en ville sans avoir peur. Parce qu’au fond, on est tous humains. Enfin, lorsque nous parviendrons à la réconciliation, le Québec sera plus juste et plus fort. 

Nous autres à l’école, on apprend votre histoire. Ce serait bien que vous commenciez à connaître notre vraie histoire, non ? 

Mathilda, 17 ans, Maliotenam (Québec, Canada)

Notre média publie des lettres de toute personne âgée entre 15 et 25 ans qui veut s’exprimer sur un sujet de son choix. Si c’est ton cas, et que tu as des choses à dire, écris-nous ! lettresd1generation@gmail.com 

© 📸 Nicholas Lachance http://nicklachance.com @lachancephoto via @unsplash

Cette photo ne représente pas l’auteur de cette lettre.

Lettres pour dire le monde

Très « chairs » Vivants,

 
Il existe une multitude de routes qui mènent à soi en passant par l’autre. Je crois que la plus précieuse est sans aucun doute celle qui reconnaît que nous sommes vivants à travers nos incroyables émotions. Refoulées, soumises et minimisées, domptées pour ne pas ressentir la partie triste du monde, celle qui nous renvoie au deuil de nous-mêmes, aux impossibilités et à l’inconcevable.

Ces émotions sont celles des “refouleurs”. Vivants cachés, ils ont tort puisqu’ils s’ignorent. Car la paix n’est possible qu’après avoir mené sa propre bataille au-dedans de soi. Ressentir l’obscurité interne permet d’en apprécier la lumière. Oui, ils ont tort et ils ont peur. Mais vous, vous n’avez pas peur.
Vivants, vous voguez entre tous ces sentiments, passant d’une mer d’huile aux fureurs marines. Vous créez chaque couleur tout en donnant naissance aux nuances de la palette. Celles qui nous différencient, nous relient et nous animent.
 

Non seulement vous vivez chaque scène, mais vous l’écrivez au même instant. Vos propres contradictions vous mènent à une justesse et à une empathie pour tout le Vivant.

Oui, Vivants de chair, vous êtes beaux, et chacun de vos miroirs est un catalyseur. Si tous les moments sombres de la vie devaient se sublimer demain, c’est dans votre intensité que j’aimerais qu’ils puisent.

Oui, Vivants oubliés, vous êtes beaux. Perdus dans la rapidité d’un monde que vous souhaiteriez prendre au corps toujours plus intensément. Sachez que je vous ressens et que vous faites du bien à mon cœur.

Continuez de faire hurler vos murmures et de partager vos puissants intérieurs. Continuez de regarder avec douceur, de rêver avec folie, d’embrasser la rage.
 

Et merci. Merci de saisir le monde par sa poésie. De l’accueillir dans son intégralité tout en restant libres, conscients et acharnés. Ainsi vous faites honneur à la Vie.

Larry, Metz

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Lettres pour dire le monde

Toi le gosse de foyer, enfant de la DDASS. Toi le Cassos.

 

Je t’écris la lettre que j’aurais aimé recevoir. J’espère qu’elle te permettra de retrouver l’espoir en ce foutu monde, ou au moins qu’elle te remontera le moral.

 
Toi qui ne voulais que l’amour d’une famille. Tu as eu la malchance de naître au mauvais endroit, au mauvais moment ou chez les mauvaises personnes. Ta colère envers tout ce qui t’entoure, ton envie de tout voir brûler, je la comprends. Je la connais.
 
 

On aurait dû t’aimer, t’écouter et te soutenir. Au lieu de ça, on t’a catapulté dans un lieu froid, à devoir partager ton intimité avec de jeunes inconnus souvent hostiles. Tu n’as connu ni l’histoire avant de t’endormir, ni le câlin pour te réconforter après un cauchemar.

 

Les seules personnes à t’avoir un peu écouté sont les éducs qui font ce qu’ils peuvent avec les contraintes de leur métier, si peu nombreux, et n’ayant pas le droit de trop s’attacher à un enfant. Et puis le psy qui te regarde parler d’un air absent en hochant la tête de temps à autres…

 
Ta parole n’a jamais eu beaucoup de valeur auprès des “adultes”. Les seuls à t’avoir jamais compris sont tes rares copains du foyer, enfin ceux avec qui tu ne te battais pas. Et même quand tu ne parles pas, tu sens bien ces regards à l’entrée ou à la sortie du foyer. On sait que tu viens “de là”. Et tu as l’impression d’avoir été mis à la poubelle de la société.

 
Tu voudras passer le temps qui te semble si long. Tu écouteras de la musique, tu dessineras, tu regarderas des films, tu te baladeras quand tu le pourras ou peut-être même que tu feras des bêtises. Tu auras bien raison. Ce sont ces passions solitaires qui te permettront de tenir. Elles te forgeront une force de caractère surhumaine. Celle qui te permet en ce moment de lire cette lettre. Avec elle tu comprendras que le pire est passé. Toi qui te disais jusque là que ce que tu es, personne ne voudrait l’être. 
J’aimerais que tu ne perdes pas espoir. Oui ta vie ne sera pas un long fleuve tranquille : tu connaîtras certainement des galères que les enfants aimés ne pourront jamais vraiment comprendre. Eux qui seront toujours étrangers à ta solitude, à tes idées noires, à cette détresse que tu éprouveras quand les choses échapperont à ton contrôle, à ta peur.

 
Dans la vie de tous les jours, au travail, tout te ramènera à ce passé que tu voudrais oublier. Les gens te demanderont si tu as des frères et soeurs, si tu vis chez tes parents, ce que tu as eu comme cadeaux de Noël… Tu hésiteras entre tout déballer pour te soulager ou ne rien dire, pour ne montrer aucune faille ou par pur orgueil.
 

Tu auras certainement du mal à demander de l’aide, par peur de déranger. Tu préfères ne faire aucune vague dans la vie des autres. Mais tu rencontreras tout de même des personnes formidables, sans les avoir cherchées. Et elles  deviendront cette famille que tu as tant désirée.

 
Avec eux et ta volonté comme amie, tu sauras faire feu de tout bois, ta plus belle récompense sera ta fierté. Tu voudras t’en sortir pour toi même, tu y arriveras car qui que tu sois, petit être oublié, tu es un guerrier!
 
 
 
Cécile, 22ans, Charleville-Mézières.
 
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💻 graphiste visuel @cess.cess.16 (Cécile Gascuel)
Lettres pour dire le monde

Des morts par milliers et eux, ne pensent qu’à vous, futures vacances. Alors qu’ils s’inquiètent de ne pas savoir ce que vous leur réservez, ils ne connaissent même pas la rivière qui est à dix kilomètres de leur maison ou la petite route qui les mène à la plus belle des ruelles du village voisin.

Pour ma part, les moments longs et lourds que nous venons de vivre m’ont rendue plus téméraire. Je suis sortie de mes habitudes et ça a tout changé. Avant, je montais tout droit dans la forêt puis à gauche. Et le lendemain, au lieu de prendre à gauche, je suis allée tout droit. Ce que j’ai alors découvert m’a donné ce même sentiment que lorsque nous voyageons à l’autre bout de la terre. Un sentiment qui mélange une pincée d’angoisse, une cuillerée d’inconnu et une poignée d’émerveillement.

Continuez la lecture “Lettres à nos futures vacances”

Lettres pour dire le monde

Je n’avais jamais vu autant d’oiseaux devant la maison que depuis qu’on n’a plus le droit de sortir de chez nous. Les animaux, petits et grands, reprennent leurs droits. J’aime les voir danser de l’autre côté des fenêtres. Ils me donnent de l’espoir. Ils ont l’air tellement insouciants. Leur plus grande préoccupation en ce moment est de nourrir leurs petits. Nous ne sommes pas très différent en vérité, cela préoccupe aussi beaucoup de parents.

Continuez la lecture “Lettre à la nature en repos”

Lettres pour dire le monde

Maison : Lieu de repos, lieu de réconfort et de confort, lieu d’intimité qui regorge de nos joies et de nos tristesses. Lieu de retraite. Espace qui nous comble.

Je ne suis pas née chez toi. Je suis née à Abidjan, dans l’une des communes les plus denses et les plus animées de la ville. Nous étions dans un appartement en location, mais je m’y sentais chez moi. Toutes les expériences que j’ai eues, les joyeuses comme les difficiles, ont forgé mon appartenance à cette maison. Mais à 18 ans, je l’ai quittée pour te rejoindre.
Un jour, mon père nous a annoncé qu’il voulait que nous aménagions dans un quartier nouveau de la ville. Il ne nous avait pas dit qu’il construisait une maison. J’étais envahie de questions : à quoi ressemblerait cette maison ?
Est-ce que je pourrais m’adapter loin de mes amies d’enfance ? Mon père était si fier. Il était devenu propriétaire dans la capitale économique !  Devant son sourire je n’osais pas lui parler de mes questionnements.

Quelques mois plus tard, nous emménageons. Tu as de larges pièces, avec une grande vue sur un paysage de hautes herbes. À l’instar des nouvelles constructions du quartier, tu es en briques mais avec une cour familiale, et de nombreuses dépendances, toutes larges et aérées.

Dans ce nouveau quartier moins urbanisé que l’ancien, les maisons se comptent au bout du doigt. Seule attraction : quelques commerçants dans de petites baraques en bois qui vendent de l’attiéké, des galettes à base de farine et de la bouillie de mil. Peut-être qu’un jour, il y aura ici des supérettes, des boutiques de mauritaniens et des cabines téléphoniques à tous les coins de rue ?

Le début n’était pas facile pour moi. Je me sentais seule et angoissée, et je n’avais pas de distraction. Je sentais un manque au quotidien. Je n’allais pas spontanément vers les nouveaux visages des cours environnantes. Je passais donc mes journées à faire les travaux domestiques : la lessive, la vaisselle.  Après ces travaux, je regardais la télévision. Par moment je lisais, et je passais du temps devant ma fenêtre en profitant de l’air frais et des hautes herbes. Ma seule occupation hors de ton quartier était de me rendre à l’école en tricycles, à quelques kilomètres. Cela me prend 30 minutes. Ce nouvel environnement que tu m’offrais me semblait monotone.

Et puis, petit à petit, j’ai commencé à voir la beauté autour de toi. Tu n’as pas de jardin, mais ton paysage paisible nous offre des plaines, du vent frais et moins de pollution. Là-bas nous vivions près de nombreux maquis – des lieux de commercialisation de boissons – et des boîtes de nuits ; le soir quand on dormait, on pouvait entendre la musique jusqu’à l’aube.

Peu à peu, cette vie paisible et tranquille commençait à me plaire. J’ai commencé à sortir à pied pour encore mieux apprécier l’environnement et le paysage autour de toi et dans les quartiers environnants. Je préfère les sorties d’après-midi, quand le soleil est au crépuscule, pour être moins exposée aux grandes chaleurs.Mon père me rappelle souvent que le bien-être se construit au quotidien et que le bonheur se rapproche quand nous changeons notre regard sur le monde qui nous entoure. Je me suis rendue compte de l’implication de mon père et de ses efforts : tu es son œuvre pour nous. Dans mon fort intérieur, c’est moi qui suis fière de mon père.

Maintenant je me suis intégrée à toi et moi aussi j’aimerais poursuivre l’œuvre de mon père ; t’embellir, t’offrir un jardin avec de grandes fleurs de toutes les couleurs, un beau revêtement de tes murs et un beau carrelage blanc pour ton sol. J’aimerais que tu accueilles mes rêves et mes projets, que tu participes à mon bien-être et à mon équilibre à celui de chaque membre de ma famille.Je crois que ma future maison sera encore plus grande, cette fois avec un jardin et même une piscine pour les enfants de mon quartier. Elle aura une grande cour familiale avec des dépendances, de sorte que chacun puisse s’y retrouver par moment et renforcer le lien familial. Chez nous en campagne comme en ville, la vie en communauté est importante, cela permet de de rester proche de sa famille. Ce sera une maison où règnent l’enthousiasme, la gaieté, la paix et l’entente entre les membres de la famille.

En attendant, je te promets la joie, la gaieté et l’hygiène entre tes murs.

Merci Papa !

Myriam, Abobo-Adjiby (Abidjan) (18 ans)