Lettres pour dire le monde

« On passe les plus belles années de sa vie sans s’en rendre compte ». Je me répète cette phrase depuis plusieurs heures dans une pièce où pourrissent mes idées négatives. Une chambre, quatre murs, un lit défait, des vêtements mal rangés : est-ce un endroit approprié à l’apprentissage? Les moustiquaires devant mes fenêtres me donnent l’impression d’être entre des barreaux.

Je reste assis, zombifié devant mon écran, ne distinguant que quelques mots parmi la rafale que me balance mon professeur par vidéoconférence. J’empile les travaux à remettre sans le savoir. Je ne peux plus me changer les idées.

Ce qui me ronge, c’est de ne pas avoir assez profité de ce que j’avais avant. À force de porter ces morceaux de tissus, je ne vois plus les visages de mes amis, des gens dans la rue, des caissières dans les magasins. 

J’en viens à regretter ce qui avant me semblait un enfer : se lever à 6 heures, prendre le déjeuner à toute vitesse, m’habiller, crier après ma mère qui passe trop de temps à la salle de bain, attendre que le gros engin jaune, crachant sa fumée polluante, vienne le plus rapidement possible pour que j’arrête de geler à l’arrêt du bus, faire 35 minutes de trajet sur ses bancs durs, au milieu des cris des secondaires, pour finalement retrouver les amis et le cours soporifique du matin, tout ça me manque. Aller manger des sushis et des burgers, se piquer des frites, prendre le soleil sur le banc de la rue Jacques-Plante, tout ça me manque. Finalement je me dis qu’on ne prend pas assez de temps pour profiter des petits moments de la vie.

Je n’arrête pas de me demander quand tout ça va finir. En attendant j’ai commencé mon deuxième roman, je joue à des jeux en ligne avec les copains que j’ai hâte de voir en vrai. Je sais que des pandémies je vais en connaître d’autres. Je ne me sens pas prêt. Ne pas savoir, y’a rien de pire.

Noah, 17 ans, Repentigny, Québec.

© 📸 Martina Carinci via @unsplash

Lettres pour dire le monde

Ma « p’tite poule »,

Tu es partie trop vite, trop tôt. Pour moi ça a été douloureux. Mais je me console en pensant aux quelques mois qu’on a passés ensemble. Ces quelques mois où j’espère t’avoir apporté une vie un peu meilleure que celle de la plupart de tes congénères.

Pour tout te dire, tu as d’abord existé sur le papier, sur une liste. Une liste que j’ai commencé à dresser il y a deux ans et qui représente pour moi un acte fort d’engagement pour la planète et son avenir… Si tant est qu’on lui laisse en avoir un. Évidemment, tu n’étais pas en haut de la liste. Il fallait d’abord revoir pas mal de choses dans notre quotidien, ma famille et moi : notre consommation de produits suremballés, cultivés en agriculture intensive et venant de l’autre bout du monde… Aux côtés de mes parents, ouverts mais novices, je suis devenu un véritable porte-étendard du changement : fabriquer avant d’acheter, acheter en agriculture raisonnée, de proximité, d’occasion, en vrac… Et je me souviens encore des longues soirées de de recherches et de discussions, avec un papa très réticent, pour démontrer l’importance et la simplicité du fameux compost de jardin.

Et puis, alors que tu étais déjà bien présente dans mon esprit mais loin de celui de mes parents – « ça demande trop d’entretien », « j’en ai trop peur ! » -, la magie du 1er confinement 2020 a opéré. Ta présence à nos côtés était désormais envisageable, à une condition : “que tu t’occupes de tout !”.

Avec mon frère Jojo, il ne nous a pas fallu longtemps pour nous retrouver dans la longue file d’attente devant le magasin de bricolage. Nous n’étions visiblement pas les seuls à vouloir profiter du confinement pour bâtir de nouveaux projets. Planches de bois, poteaux, grillage… Bizarrement, une fois tout ce matériel à la maison, je n’ai plus eu à devoir m’occuper seul de tout : c’était devenu un projet familial ! Une aventure que nous prenions plaisir à vivre ensemble. Avant même ton arrivée, tu as su créer du lien chez nous. Alors imagine quand tu as pris tes quartiers !

On t’a choisie, toi et une copine, parmi des centaines. À votre arrivée à la maison, nous nous sommes mutuellement apprivoisés. Ça a pris son temps. Au début, vous vouliez sans cesse explorer au-delà du poulailler. Nous, on n’était pas encore prêts, on tâtonnait… C’était tout nouveau. On doutait… Il fallait vous observer de près pour vous comprendre, vous nourrir à la bonne fréquence, vous installer votre mangeoire et votre abreuvoir. Finalement, vous avez pondu vos premiers œufs, petits et mous, mais tout à fait mangeables et surtout ultra-locaux.

Pendant plus de 3 mois, on vous a vu explorer tous les recoins de votre parcelle, retourner la terre pour déterrer les vers dont vous raffoliez, accourir quand on venait vous parler et fuir quand on voulait vous porter et vous caresser. On avait réussi à vous offrir une vie paisible, à hauteur de vos besoins et de nos idéaux d’écolos presque parfaits.

Mais un 22 octobre, tout s’est arrêté. Tu as commencé par ne plus pondre, tu t’es mise à boiter, à ne plus manger. Je sentais que quelque chose ne tournait pas rond, mais mes parents, eux, n’étaient pas inquiets… Je ne t’avais pas donné de nom, mais je te connaissais bien. Le vétérinaire a fini par venir mais ses médicaments n’ont rien pu pour toi.

En 2018, tu étais pour moi une idée, une envie, une folie. Tu es entrée dans ma vie en 2020 comme une victoire, une espérance, une nouvelle manière de manger. Tu m’as appris beaucoup. Puis, tu es partie, comme pour me donner une dernière leçon : celle de la vie.

Je ne t’oublierai pas, promis.

Aurélien, 16 ans, région parisienne.

Lettres pour me raconter

Depuis quelques temps, je ne vois que toi. Nous sommes devenues, sans le vouloir, des colocataires. Pour combien de temps ? Je ne sais pas.

Tu parsèmes mes journées sans plus savoir où te cacher. Tu brilles à travers mon écran, mon téléphone ou même la lueur du soleil dans les recoins de mes volets. Mais dans mon humble appartement de deux pièces aux couleurs plutôt claires, ta présence m’oppresse.

Tu es mon premier spectateur, la première à découvrir toutes les facettes de mon intimité. Tu restes silencieuse, transparente, à me voir faire des choses dont peu de gens sont témoins dans mon entourage – pleurer, rire, danser, dormir, cuisiner.

Quand je rentre dans mes délires, tu m’observes et tu me rappelles vite à l’ordre.
Quand j’essaye de te semer le temps d’aller dormir, que je me laisse envelopper dans la pénombre et que je m’apprête à plonger dans mes rêves, tu m’entoures de ton ombre et tu me souffles un air glacé dans la nuque.

Mes déjeuners se résument à une assiette sur mes genoux, à l’ordinateur allumé sur la série du moment, à la bouilloire remplit d’eau chaude du réveil au coucher. La vaisselle reste toujours propre, peu de vêtements sortent de mon dressing et je n’ai jamais autant rempli mes placards de nourriture.

Tu es devenue à toi toute seule ces journées qui s’enchaînent. Tu étais une infime partie de moi depuis ma naissance et en quelques mois tu es devenue toute ma vie, mon quotidien, en entier.

Où est donc passé le rire aigu de mes copines ? Le tapement des pieds dans les couloirs du métro ? Les verres qui trinquent sur les tables voisines lors de mes nombreuses soirées festives ? Seuls quelques visages apparaissent en facetime. Le reste du temps, c’est la voix des acteurs dans les films qui me fait sentir moins isolée.

Il faut que tu saches que c’est encore nouveau pour moi et très abstrait. On m’a dit que tu faisais partie de moi et ça, depuis longtemps ; que je devais t’accueillir et apprendre à être heureuse avec toi avant d’être heureuse avec d’autres. Mais comment veux-tu que je travaille sur moi si, de toute façon, je n’ai pas le choix ? Comment puis-je t’accepter dans ma vie de tous les jours si je n’ai même pas de vie de tous les jours ?

Alors j’apprends, d’heure en heure, à t’enlacer à mon tour ; avec tendresse, amour et non avec tristesse. Car c’est avec toi que j’ai quitté le chemin d’une vie dynamique et répétitive, que j’avais l’habitude d’accepter, pour des journées plus tranquilles, plus saines, tournées vers l’autre et vers l’instant présent.

Tu as de multiples facettes, de multiples personnalités et chacun te rencontre à sa manière, à un instant de sa vie. Plus particulièrement cette année. Tu es rentrée plus tôt que prévu dans la vie de nombreuses personnes qui n’avaient pas encore les outils pour t’aimer, et tu t’es renforcée dans la vie de ceux que tu avais déjà conquise. Tu as causé de nombreux dégâts, fait souffrir de nombreuses âmes, au point que certaines envisagent de partir pour de bon. Si seulement nous avions appris à te faire confiance plus tôt… à te découvrir sans t’associer à des peurs, à nous laisser une chance de te conquérir avec douceur.

Je décide donc, aujourd’hui, de te comprendre et de t’accepter telle que tu es. Je considère qu’il est urgent d’apprendre à vivre en paix avec toi, et donc avec moi-même, et je nous souhaite qu’il y ait autant d’amour entre nous qu’il peut y en avoir entre deux êtres.

Thaïs, 25 ans, Île De France.